dimanche 20 avril 2008

Shine a light : rock is dead



On peut se réjouir des récents oscars de Scorsese et regretter qu’ils aient salué le plus terne et sage de ses films. Sous ses airs de polar rageur, The Departed cédait surtout aux facillités du pastiche, recyclant à tout-va les tics du maître, l’énergie baroque, donc l’essentiel, en moins. Plus d’un déçu guêtait alors, curieux et inquiet, la suite des opérations : simple embardée conjoncturelle ou véritable virage mainstream ? A l’annonce de sa mise en chantier, Shine a Light fleurait bon le pari artistique, un retour aux fondamentaux (The Last Waltz) en forme de tabula rasa. Songez : Martin Scorsese filmant les Rolling Stones ; une légende se saisissant d’une autre le temps d’un live historique ; un film-mutant se voulant tout à la fois documentaire, making of et expérience scénique. Devenu produit marketing de consommation courante, l’exercice du concert filmé en sortirait pantelant et le rock grandi. Satisfaction ? Ben non…

Car le rock, on le cherche justement. Que les guitares hurlent, que Jagger se trémousse, que les spots crament, là n’est pas le problème. C’est d’âme dont Shine a Light est dépourvu, de cette tension sexuelle et subversive à laquelle le rock s’est toujours abreuvé. Il n’est qu’à voir le public, cette salle blindée de VIP bien mis et proprets, aberration initiale d’un projet qui les multiplie. Passons sur Clinton et ses 30 potes invités d’honneur ; passons même sur Bruce Willis dodelinant de la tête incognito dans la foule ; non, ce qui ne laisse pas de choquer, ce sont ces mannequins ultra-bright massées près de la scène, apprêtées comme pour un défilé de John Galliano, ces beautés épilées, chanélisées, l’oréalisées que l’on dirait posées là pour le cadre, avatars classieux des potiches à show TV sensées faire triquer l’audimat. Sauf que l’effet est inverse. Pas de sueur, pas de clopes, pas d’alcool, que du gloss et des fringues à 10 000 balles. Comme elle semble loin Christina Ricci, humide et ondulant au ralenti dans le brûlant Black Snake Moan ; comme elle semble loin l’intro électrisante du pourtant kitchissime Streets of Fire de Walter Hill. Comme elles semblent loin, surtout, les images des vieux concerts des Stones, souvenirs rayés de transe collective et de ferveur populaire. Dans Shine a Light, le feu n'est que d'artifice.

Si cette ambiance est à son corps défendant, Scorsese l’amplifie pourtant à outrance. Les cadres sur-travaillés, la lumière stylisée, les travellings en bain d’huile glacent l’image de leur perfection anesthésiante, vident in fine la musique de son énergie vitale. Le support numérique choisi par le réalisateur synthétise le tout en portant l’estocade. Pas de grain à l’image, nulle aspérité, rien à quoi s’accrocher, pas même aux gouttes de sueur de Jagger, dématérialisées à force d’hyperréalisme. Sur les bords de l’image, plus rien ne bave, le cadre est net, coupant, clinique comme ce cinéma au scalpel. Encore une fois, le contraste avec les flashbacks qui parsèment le film témoigne des fluides corporels égarés en route. Seul Keith Richards et sa tronche de vieux toon fatigué semble résister, surnager dans cet océan de transparence. Le ripolin semble n’avoir aucune prise sur sa peau de papier mâché, et ses oeillades insanes offrent à ce qui reste de sédition dans cette musique un refuge bienvenu. Rien pourtant qui changera la donne dans ce film qui parvient à retourner contre lui son propre propos : à 60 ans passés Mike et les autres s’astiquent toujours le manche, mais ici, leur rock band mou.

PS : L'honnêteté m'oblige à préciser que j'ai vu le film dans des conditions idéales de projection : au Max Linder en numérique. Peut-être le film gagnerait à être vu sur pellicule, dans une salle classique, avec tous les défauts que celà comporte...

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