jeudi 19 juin 2008

Speed Racer : fractal fury


Par un curieux hasard, il a fallu que je découvre Speed Racer en même temps que Suspiria d'Argento et peu après All That Heaven Allows de Douglas Sirk. Impossible de ne pas jeter des ponts. Ces cinémas, pourtant séparés par un infranchissable fossé, sont étrangement rangés sous la même banière de la saturation chromatique. On sait qu'à la différence de la lecture ou de la musique, le 7e Art nous impacte sans passer par aucun décodage ni mode d'emploi : les stimuli visuel s'écrasent directement dans notre lobe occipital en provoquant une excitation quasi pulsionnelle. (Je fais court). Avec leurs choix esthétiques radicaux, les Wachos, comme Argento et Sirk, en appellent à la puissance radicale, primitive, de la lumière et de la couleur pour faire sens et déclencher une avalanche d'affects chez le spectateur. L'effet dramatique et symbolique est décuplé, un idéal de pureté atteint, comme s'il s'agissait, dans des genres différents, de saisir un absolu. Mais l'analogie s'arrête définitivement là...

Car les frères Wachowski transcendent ce rapport à la couleur par une approche fondamentalement novatrice de leur medium. Comme avec Matrix, les frères Wachowski agrègent un monceau de références post-modernes au dernier cri de la technologie, mais optent cette fois pour le shoot hallucinogène plutôt que le précis de philosophie. Speed Racer convoque le superflat de Murakami (ici), l'esthétique manga, la culture otaku, F-Zero GX (ici), les gimmicks du rétro-futurisme... soit un formidable maelström de chevauchements culturels qui largue définitivement les amarres avec le tout-venant cinématographique. Le résultat est ahurissant, à la fois sans profondeur de champ et d'une vitesse stupéfiante, totalement barré et constamment cohérent, comme maintenu en sur-régime par des réalisateurs résolus à dépasser les bornes. Dans le genre jusqu'au-boutiste, on n'avait pas vu ça depuis le Time and Tide de Tsui Hark.

Time and tide, temps et flux, voilà très exactement ce à quoi carbure Speed Racer. Au-delà de leur but avoué (réaliser le premier dessin animé live), les frères Wachowski ont accouché d'un film-mutant en perpétuelle recomposition, d'une oeuvre-fractale qui se déploie sous nos yeux. Plié et replié sur lui-même, l'espace-temps en prend un coup : durant la course d'introduction, passé, présent, lieux et espaces se recouvrent et s'imbriquent en une symphonie visuelle inédite. Et éclatante. Les visages et objets servent de volet de transition, balaient l'écran pour dévoiler la scène suivante, comme si le film n'était qu'un seul et unique plan-séquence immarcescible. Les règles ancestrales du montage en ressortent violées (jamais la règle des 180° n'a subi pareils outrages), les réalisateurs préférant aux cuts traditionnels et à la sacro-sainte cohérence spatiale des solutions novatrices à base de travellings ultra-rapides ou d'inserts coulissants. L'air de rien, nous voilà face à une petite révolution conceptuelle : le découpage perd dans Speed Racer son rôle de super-structure organisationnelle pour désormais s'intégrer à l'intérieur du film comme un élément chorégraphique à part entière. Après un bullet-time trop superfétatoire pour survivre à l'effet de mode, cet edit-time ouvre un hallucinant champ narratif au 7e Art, et ce par la seule entremise de l'effet spécial.

Une filiation entre SFX et cinéma encore renforcée vers la fin du film, dans une course ultime à bien des égards. A peine lancés, que les bolides frôlent déjà les 600 km/h, enchaînant boucles et virages au ras des rails comme des asymptotes en fibres carbone. C'est alors qu'apparaîssent au second plan, peintes sur le muret de la piste, les images successives d'un zèbre , un zèbre au galop, mis en mouvement grâce à la vitesse vertigineuse imprimée par les frangins... Alors que l'intro débutait par des images de course en flip-book (ici) pour mieux basculer dans la synthèse pure, le point d'orgue convoque directement le zoopraxiscope (ici) d'Eadweard Muybridge (ici), précurseur ignoré du cinématographe qui avait posé les bases de l'effet bullet-time dès 1878. En reconnectant leur révolution cinémanimée à l'imagerie primitive du cinéma, les Wachowski font allégeance tout en se positionnant comme héraut, dans le prolongement d'une tradition de cinéastes-expérimentateurs. Leur finale orgasmique, kaléidoscope de flashs et de couleurs, de sons et d'émotions, dépasse ainsi en démence et en vitesse d'exécution ce que l'on a pu voir par ailleurs. Comme dans ce plan-symbole où la Mach 6 arrache littéralement le bitume de l'image, puis l'image elle-même pour ne laisser qu'une peinture en tâche d'huile, Speed Racer fusionne alors en une pure abstraction et illustre finalement la confession d'une mère admirative à son fils vituose : "Quand tu pilotes, ce n'est plus seulement de la course ; c'est de l'art."

10 commentaires:

Rémi C. a dit…

Article impressionnant Julien, comme à ton habitude.

?! a dit…

Merci Rémi :)
Le texte reste un peu confus et saute d'un concept à l'autre, mais bon, c'est aussi le principe du blog que de jeter des idées.
Hésite pas à repasser, je vais essayer d'être plus régulier dorénavant.
(je vois WALL-E ce soir, donc texte dans la journée de demain j'espère...)

Rémi C. a dit…

Ton blog est dans mes favoris. Comme je passe régulièrement sur mon blog, même si je l'alimente peu, je reviens très régulièrement sur le tien.

Anonyme a dit…

Hi !

Je réagis juste sur une des premières phrases de ton article (peut-être l'ai-je mal comprise) : "On sait qu'à la différence de la lecture ou de la musique, le 7e Art nous impacte sans passer par aucun décodage ni mode d'emploi..."

Si la lecture a en effet besoin d'un décodage pour toucher les gens (rien que le fait d'apprendre que B et A font BA), la musique a pour moi les même vertues que tu attribue au cinéma : pas besoin de décodage, d'apprentissage ni mode d'emploi pour être touché par la musique. Quelqu'un qui ne sait même pas lire une portée de note peut très bien être profondément envahis et touché par le 21e concerto pour piano de Mozart (surtout le 2e mouvement en passant). C'est on ne peut plus universel.

?! a dit…

Amélie,

Sympa de passer de temps en temps d'abord :D

Merci de ton commentaire ensuite.

Disons que la musique a besoin d'un décodage cognitif bien supérieur aux images. L'ouïe est le plus complexe de nos sens(voir : http://oeil.electrique.free.fr/article.php?numero=15&articleid=66). Il suffit de regarder l'activité cérébrale suivant que l'on regarde la télé ou que l'on écoute de la musique : y a pas photo, la musique nécessite une activité neurologique bien supérieure.

Ce n'est pas l'émotion globale transmise que j'évoque (ce serait de toute façon bien trop subjectif) mais la vitesse d'impact de l'image sur le ressenti du spectateur par rapport aux autres medium.

Mais comme je le dis dans l'article, "j'ai fais court". Ca demanderait d'avantage de développement et la question m'intéresse. Je vais faire d'avantage de recherches ;)

Et encore merci !

PS : tu peux me remettre l'adresse de ton blog que je te mette dans les liens ?

?! a dit…

Je savais pas que t'avais un blog Rémi ! Fallait me le dire.
Je vais jeter un oeil là-dessu et te mettre dans mes liens.

A bientôt :D

Anonyme a dit…

Mon blog est accessible dès que tu clique sur mon pseudo.
Ah, ces débutants du blog ;)

Axel Cadieux a dit…

D'une part je suis d'accord avec l'intégralité de ton article, mais au-delà de ça je suis incapable de passer outre certaines lourdeurs, qui détruisent à mon sens très clairement toute tentative d'implication.
Si le dernier rally est phénoménal, tu le décris très bien, sa puissance est immédiatement plombée par le ridicule twist final ou bien l'insert du petit frère juste avant le baiser.
Tout Speed Racer obéit à ce procédé, alternance de fulgurances proprement hallucinantes et de mélasse scénaristique. J'aime beaucoup mais c'est aussi très frustrant (la vf n'aidant certainement pas par ailleurs).

'33 a dit…

ahah, pas mal
ça te trouerais le cul de me linker ?

Anonyme a dit…

très bon julien! surtout ton dernier paragraphe.

Je partage un peu l'avis d'axel tout en étant plus compatissant en faisant abstraction des obsessions un peu gonflantes et lourdes des wachos, trop marquées culture manga, on peut être d'accord avec tout ce que tu as dit.