vendredi 11 avril 2008

Boulevard de la mort : du sample au double

Je reproduis ici un article que j'ai écrit pour un site ami (mediacritik).


Quentin Tarantino fait l'objet d'un malentendu conceptuel qui court d'interviews en featurettes. Malentendu que Deathproof, n'est pas parvenu à dissiper. En cause, la réputation du cinéaste, rat de vidéoclub, fan boy gentiment dégénéré, dont l'horizon cinématographique ne saurait dépasser, paraît-il, le fétichisme pop. Deux lignes : d'un côté ses plus violents détracteurs qui le taxent d'onanisme, estimant que son apport au genre se limite à un plaisir solitaire à tendance coprophage ; de l'autre, la grande majorité du public et de la critique qui l'élève au rang de Burton pop, saluant son formidable travail de régurgitation. Entre posture et imposture, choisis ton camp, cinéphile ! Le phénomène a pris une ampleur inédite avec Kill Bill, diptyque ultra-référencé qui jouait de ses citations comme d'un effet de brouillard, mais qui fut vite réduit, tentation de l'épithète aidant, aux sempiternels « hommage jouissif » et autres « film d'action jubilatoire ». Ne le nions pas : le plaisir adolescent de la citation et de l'action fait partie intégrante du cinéma de Tarantino. Le bonhomme n'aime rien tant que livrer des produits populaires, bandants à plus d'un titre, et pousser leur logique interne à un tel paroxysme qu'ils en deviennent définitifs. Encore faut-il s'entendre sur ce dernier terme... Car le formidable paradoxe que Kill Bill laissait supposer, Deathproof le ressasse jusqu'à plus soif : si le cinéaste exhume, c'est pour mieux enterrer. En fait de fan boy, Tarantino est un fossoyeur.

Bien entendu, l'idiome n'est pas à prendre au sens morbide du terme. Tarantino ne tue pas, il éreinte. Epuise. Emballe et étouffe la machine. Quand Tim Burton n'en finit plus de momifier ses maîtres et son oeuvre (l'affreux Sweeney Todd), quand Rodriguez fait dans la geekerie décérébrée (le couillon Planète Terreur), Tarantino bouscule les codes, renverse les tables, maltraite le genre et viole les règles. Le résultat, tout en vitesse, ellipses et ruptures du continuum cinématographique tient autant du chef-d'oeuvre du genre que du crime de lèse-majesté. Véritable moteur théorique de Deathproof, le procédé fait voler en éclat les fondations du projet Grindhouse, entreprise de réhabilitation des doubles programmes que le cinéaste a fomenté avec son pote Rodriguez. Excitant sur le papier, Grindhouse n'était, à bien y réfléchir, qu'une tarte à la crème fétichiste (Planète Terreur le démontre par l'absurde) et ne valait finalement que pour son éventuel dépassement. Si l'on n'espérait rien de Rodriguez, trop bovin pour transcender son travail, Tarantino, passé maître dans l'art du contre-pied, était tout désigné pour subvertir son segment. De là à songer qu'il accoucherait de son film le plus théorique, personne ne s'y risquait...

Le tour de force de Deathproof ? Sa construction symétrique, ces deux parties qui s'observent, se répondent, se copient sans jamais communiquer, ni se rencontrer. Soit l'exacte définition du remake. Au vide conceptuel de Grindhouse, Tarantino oppose la symétrie dans l'axe de Deathproof, autrement dit la mise en abyme du projet tout entier. Le second hémistiche, avec ses chicks rebelles et son serial-killer pathétique, ne serait alors qu'un remake du premier dirigé par Russ Meyer (et inversement). Mais, davantage encore que ce choix narratif (repris récemment par The Return), c'est sa collusion avec l'iconoclasme du cinéaste qui transforme le simple exercice de style en point de non retour du genre. Fidèle à ses principes, Tarantino va malmener les codes empesés du slasher, dilater les séquences, étirer les dialogues, digresser quand le genre préfère dégraisser. Comme un petit frère volubile, Tarantino babille, parle et parle encore, laisse tourner la caméra, comme pour couvrir le silence. Emplir le vide par le mot. D'aucuns ont critiqué la durée excessive du film sans voir qu'elle relaie en réalité un terrible constat : le genre en tant que tel n'a plus rien à dire. Il est à ce point épuisé qu'il ne s'adresse désormais qu'à lui-même et à ses ouailles. Figure terminale de ce ressassement, le remake n'est que bégaiement, recyclage de samples, une pure figure tautologique incapable de s'extraire du ruban de Moebius qu'elle a elle-même généré. Tarantino ne cherche pas à sortir Deathproof de cette impasse, bien au contraire : conscient de la nature profonde de son film, il laisse cette logique contaminer sa structure, l'épuiser, non plus en accumulant les citations comme dans Kill Bill (logique d'éreintement), mais en plaçant ses parties jumelles de chaque côté d'un miroir sans tain (logique d'étouffement). Piégé entre les citations et ses reflets, cerné par ses modèles et sa propre image, hésitant entre sample et double, Deathproof consacre la mort sémiotique d'un système en le dilatant jusqu'à l'absurde (l'accident filmé sous tous les points de vue, la poursuite sans fin, le serial-killer supplicié). Vertige d'un objet pop-art produisant son auto-critique, d'un méta-remake mettant à l'index ses propres mécanismes...

Que reste-t-il alors de Deathproof ? L'essentiel serait-on tenté de dire. Une relation singulière à l'espace-temps et à son trait d'union : la vitesse. Cette dromologie, si chère à Paul Virilio, que Sergio Leone n'a cessé d'exploiter dans ses westerns. Comme son illustre mentor, rien ne caractérise mieux Tarantino que sa maîtrise de la vitesse du récit, cette rythmique interne qu'il accélère ou ralentit à loisir, comme un sample, justement, dont il modifierait la réception. Négliger cette dimension, c'est passer à côté de la contemporanéité de l'auteur : à Paul de Tarse qui écrivait « ce monde tel que nous le voyons est en train de passer », Tarantino répond « OK guy, alors ralentissons la bande.» D'où ces trous béants qu'il a toujours ménagés dans sa narration et qui suspendent l'intrigue aux lèvres de ses protagonistes. D'où encore ces invraisemblables joutes verbales qui, au-delà du remplissage sus-cité, n'ont d'autre intérêt que de s'attarder et jouir. Jouir, car tout fossoyeur qu'il est, cet hédoniste ne rebouche jamais la tombe. Convaincu, on l'a vu, que le genre se noie en lui-même, il fraie simplement dans d'autres eaux, moins stagnantes quoi qu'on en dise, où tout est affaire d'échanges, de dialogues, de discussions vaines et pourtant essentielles. Comme Apatow ou Kechiche, Tarantino fait des films trop longs (celui-ci devait durer moitié moins longtemps), se repose à dessein sur ses héros, bad guys charismatiques et chicks aussi mignonnes que sympas. Accordons-leur davantage qu'un instant, semble-t-il nous dire, flânons, buvons à leurs côtés, quitte à prêter une oreille attentive à leurs bavardages incessants et leurs peines de coeur (n'est ce pas l'exact second-rôle que Tarantino s'est donné ?). C'est là, dans ces brusques décélérations du récit au profit des personnages, que se nichent les instants de grâce du film. Grâce touchante d'un SMS échangé ou grâce fulgurante d'un bloc dialogué : Tarantino est bien le cinéaste de l'altérité.

Paradoxe : c'est en refusant de céder au diktat de la célérité que le cinéaste la régénère. D'abord parce qu'un film qui décélère ne perd pas en vitesse, il l'optimise. Le cinéma de Tsui Hark n'est-il pas arrivé à la conclusion esthétique que la vitesse pure ne s'incarnait jamais mieux que dans un freeze-frame, autrement dit un arrêt sur image (voir Time and Tide et Seven Swords) ? Quant aux deux séquences d'action à proprement dites, elles gagnent en relief ce qu'elles perdent en primauté, imprimant d'autant mieux la rétine qu'elles se font rares. Pour autant, le principe demeure : vitesse, dilatation, épuisement. Véritables morceaux de bravoure filmiques, les poursuites du film violentent l'habitus de l'exercice, la première par sa brièveté, la seconde par son principe exponentiel. Dans les deux cas, il s'agit de déborder du cadre, emballer le moteur pour mieux le liquider : si le premier combat de Kill Bill est peut-être le mieux monté de l'histoire, la car-chase de Deathproof dépasse en folie et en vitesse d'exécution ce que l'on a pu voir par ailleurs. Définitif ? C'était en tout cas la volonté de Tarantino qui en une séquence honore un pan de sa cinéphilie (Point Limite Zéro, Russ Meyer, Red Line 7000) mais la dépasse. Donc l'égruge... En doublant ainsi ses modèles, le cinéaste ne les glorifie pas, il les exténue, réactualisant l'assertion de Virilio : « Quand on travaille sur la vitesse, on travaille sur l'oubli »... Au bout ne restent que ces mêmes et sempiternelles questions : Comment passer après ? Comment être passé avant ?

L'enjeu véritable de Deathproof réside donc moins dans le plaisir nostalgique de la redite que dans ce qui y échappe. Cinéaste de la tangente, flirtant avec la figure circulaire du remake pour mieux s'en éloigner, Tarantino orchestre à la fois la revanche de personnages bêtement fonctionnels, la révolte des scream-queens contre les codes machistes du slasher, et la célébration d'un usage raisonné de la vitesse et du sample, deux données contemporaines jamais si bien réfléchies que dans son cinéma. En cela, il s'inscrit dans le prolongement direct de Kill Bill : là où le premier volet épuisait les réflexes narratifs du rape and revenge dans un geste accumulatif, le second enterrait son icône (la mort symbolique de La Mariée) et dévoilait avec émotion le véritable propos du diptyque (la recherche du père). A ceci près qu'ici Tarantino ne s'embarrasse même plus d'un incipit ravageur, se contentant de ramasser le tout en un seul métrage d'une affolante densité. Et à en juger par ses projets, il n'en a pas fini avec cette entreprise de liquidation judicieuse : en cours, un remake du classique de Russ Meyer : Faster Pussycat, Kill, Kill ! Le titre vaut évidemment pour note d'intention...

3 commentaires:

Oulàla a dit…

Je pense que cet article a été pondu par un verbeux prétentieux incapable d'énoncer ses idées de manière claire et concise. Quand au film je pense qu'il est inutile de vouloir l'intellectualiser. Cela ressemble plus à de la diarrhée pseudo-philosophique qu'à une critique dont le réalisateur lui-même ne saisirait pas le sens ("la symétrie dans l'axe" ^^).

Anonyme a dit…

La prétention, c'est aussi rester murer dans ses certitudes. A bon entendeur...

Re-Oùlala a dit…

Je trouve juste malsain de faire croire que ce film est un chef d'œuvre . Celui-ci, expérimental, est simple par essence, seulement on tricote pour le rendre compliqué.

Aussi, de manière générale, je trouve qu'on en fait trop autour de Tarantino. N'importe quel autre réalisateur aurait été lynché, mais là forcément c'est du génie.