"Le western n'est pas mort ; il a juste déménagé à Honk-Kong." Même si j'eusse aimé m'en attribuer la paternité, la phrase est d'un ami et fan de Johnnie To. Lumineux non ? Définitif même. Un peu trop peut-être... Je repensais en effet à cette formule quand, sortant du remake de 3h10 pour Yuma, je m'interrogeais sur le genre et son statut. S'il est bien un phénix du 7e Art, c'est le western. A la limite, gloser sur la mort du genre tient de la lapalissade. Combien de veillées funèbres et de résurrections en un siècle de cinéma ? Mythifié par Ford, Hawks et Mann, violé par Leone, roué par Peckinpah, prolongé, unifié puis apaisé par Eastwood (voir "La Boucle et le trait d'union"), on a cru la dernière pelletée de terre jetée sur le western avec Impitoyable. Sans voir qu'Eastwood n'inhumait rien d'autre que lui-même...
Au-delà de ses évidentes qualités (l'humilité au premier chef), le remake de 3h10 pour Yuma ranime donc le genre, ou plutôt atteste de sa vigueur intacte. Intacte car par essence cinématographique... L'histoire, le territoire, la réalité même du western n'appartiennent qu'au champ fictionnel du cinéma. L'Ouest n'est qu'un fantasme. Rien d'étonnant à ce que le genre ne déborde que rarement sur le XXe siècle : il s'éteint quand le ciné naît, comme si l'écran prenait le relais du réel en le reformulant. C'est toute l'américanéité du genre qui éclate alors. D'un côté un pays qui se rêve comme une utopie en perpétuelle réalisation ; de l'autre un espace-temps obscur devenu mythologique par la grâce du celluloïd. Amérique + Cinéma = Western : l'équation est implacable et pourtant se recombine en tout sens. Premier des mythes américains, le western est aussi le premier des genres. Le cinéma a si bien intégré ses codes qu'ils ont contaminé la plupart des structures narratives (et l'on sait combien Hollywood y est attaché), voire déjà raconté la plupart des histoires. Sutout si l'on tient d'abord le 7e Art pour la mise en relation d'un corps avec un espace...
"La mise en relation d'un corps avec un espace" : voilà sans doute ce qu'a perdu 3h10 pour Yuma en 50 ans. Si le remake de Mangold surpasse l'original de Delmer Daves sur les plans psychologiques (la relation entre Dan et Ben gagne en densité), symboliques (Liberty Valance est passé par là) et narratifs (le point de vue du fils, l'importance de Charlie, le final), il échoue à retrouver l'omniprésence du paysage, l'écrasante beauté des ciels qui faisaient le prix de la version de 57. Comme un symbole des choix esthétiques de Mangold, le remake ne s'ouvre plus sur le plan lunaire d'une diligence zébrant le désert, mais sur le visage paniqué de Dan s'éveillant en sursaut. Exit espace et corps, place aux visages et plans serrés. Même une scène aussi simple et close que celle du bar en souffre : la focale plus longue de Mangold nous prive de certains détails corporels de l'original (l'unité de la bande, le jeu de séduction). Un certain sentiment de plénitude, de totalité s'est envolé en même temps que l'espace autour des corps. La critique pourrait d'ailleurs s'appliquer à tout un pan du cinéma de genre qui sacralise l'espace et sa mise en tension, tout en les exploitant de manière éhontée (qui a dit Greengrass ?). On ne voit guère, dans des styles différents, que McTiernan, Mann, Hark et Tony Scott à penser encore leur mise en scène en fonction de l'espace et de la résistance que lui opposent les corps.
Sans dédouaner Mangold, reconnaissons lui le droit à l'erreur... Et ce d'autant plus aisément qu'il se rattrape dans le superbe finale, comme s'il avait attendu le dernier acte pour abattre son jeu. Non seulement la fusillade est solidement orchestrée mais, comme toute bonne scène d'action, elle sert d'isobarycentre, de point de bascule dramatique. En un quart d'heure, le metteur en scène redéfinit les enjeux des dernières minutes de manière bien plus convaincantes, répétons-le, que son prédécesseur. Pour cela, pour l'humilité stylistique de Mangold, pour son impeccable direction d'acteurs, et malgré un trop plein de péripéties en son milieu, 3h10 pour Yuma me consolerait presque du chichiteux donc désastreux Assassinat de Jesse James qui m'avait pourri la fin d'année 2007 (la prétention poseuse sied mal au genre). Si ce dernier postulait sans mal au titre de pire western sorti ces 15 dernières années, le film de Mangold est sans doute ce qui nous est arrivé de mieux depuis Impitoyable. Back to basics.
Derniers coups de coeur de l'automne
Il y a 6 ans
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