Après deux Brad Bird virtuoses et un Lasseter aux accents fordiens, Pixar retrouve Andrew Stanton, talent singulier déjà à l'oeuvre sur Nemo et Monstres et Cie. Aux arcs narratifs sans faille des autres fleurons du studio, les Stanton opposent d'étranges structures spiralées où l'impression de surplace le dispute à l'art de l'abstraction : le gruyère spatio-temporel de Monstres et Cie, l'acosmie de Nemo, le ruban de Moebius de WALL-E... Sous son vernis d'alu brossé, le petit dernier estomaque d'ailleurs par sa capacité hors norme à synthétiser débords graphiques et audaces conceptuelles. Plaisirs des matières, splendeurs du vide et logique circulaire, WALL-E défie la pesanteur à coup d'arabesques.
Si le studio n'a pas son pareil pour enchaîner les classiques sans faux pas, atteignant, au pire, à une perfection artisanale qui laisse pantois (le mineur Ratatouille), c'est bien le degré supérieur que l'on guette, ces objets radicaux capables d'ébranler les hiérarchies. Fluctuant tout du long entre minimalisme et dilatation, WALL-E est de ce cénacle. On y suit le dernier robot sur Terre, un tas de boulons naïf et gaffeur qui, s'amourachant d'une droïde oblongue, s'envole pour les étoiles et sauvera l'humanité. Il faut voir comme d'une première partie quasi muette et statique (sur Terre) l'on passe dans la seconde (dans l'espace) à une double logique de saturation. Saturation des trajectoires qui noie le spectateur dans une symphonie de mouvements ; saturation narrative qui éreinte comme jamais les potentialités d'un mcguffin à la chlorophylle. Même l'intouchable Monstres et Cie ne peut prétendre à un tel emballement cinétique...
C'est que WALL-E obéit, on le disait plus haut, à une logique circulaire qui va en s'accélérant. Soumis à leurs algorithmes, les robots sont incapables de décisions et d'actes autonomes ; par ricochets, le film non plus. Bloquée en mode repeat dans le vaisseau, l'intrigue bégaie, certaines scènes et gags se répètent, comme si tout était programmé pour suivre des vecteurs pré-établis. Tout l'enjeu de WALL-E consistera dès lors à sortir les objets de leurs rails, à extraire le film du ruban, à s'échapper de la boucle pour mieux prendre la tangente. Buster Keaton, M. Hulot et Peter Sellers n'auraient pas renié l'invité maladroit et muet qui va transformer ce bel ordonnancement en anarchie généralisée. Véritable bug dans la matrice, Wall-E va s'infiltrer en un lieu codifié puis saper ses fondements en refusant de s'y conformer. Ordre, mouvements et chaos : jamais dans l'histoire de l'animation le rapport du corps à l'espace n'a paru si crucial.
Soyons clairs : le penchant de Pixar pour le vertige trouve dans WALL-E un point d'achèvement. Du chapitre terrestre, sidérant traité sur la solitude, au délire mécaniste de la partie spatiale, Stanton transcende le pouvoir hypnotique des images de synthèse par sa seule mise en scène. Une ambition formelle d'autant plus bouleversante qu'elle rejoint en bout de course le sens profond de cette aventure interstellaire et humaniste : dans WALL-E, la ligne d'arrivée marque le point de départ, la fin de l'histoire le début d'une autre. Compteurs à zéro, les yeux dans les cieux, direction l'infini et au-delà...